Cette Tribune est parue dans le journal Le Monde du 4 juin 2021.
Il faut se souvenir de la Commune !
A Paris, le 28 mai 1871, au cimetière du Père Lachaise 147 Fédérés furent exécutés de façon sommaire puis jetés dans une fosse commune. Dans les jours suivants, les Versaillais y ensevelirent également les dépouilles des autres Communards morts dans les quartiers voisins sous les balles d’un pouvoir assassin.
Chaque mois de mai depuis 25 ans à l’initiative du Grand Orient De France, les Francs-Maçons célèbrent leur mémoire en se réunissant au Mur des Fédérés, lieu de recueillement mais aussi d’espoir et d’exigence.
Si cette manifestation est le signe de notre combat pour la République, pour une société plus juste, plus fraternelle, elle est aussi une ode à la mémoire et au temps long, le temps de la perspective, le temps du souvenir et de la mise à distance.
Conclusion tragique de la « semaine sanglante », cette infamie reste emblématique de la violence dont est capable le pouvoir quand il n’a plus que la force des armes pour seul recours face à la remise en cause de l’ordre qu’il veut imposer. En écrasant par le fer et par le feu cette insurrection révolutionnaire, Adolphe Thiers et les Versaillais, qui pensaient l’anéantir et la précipiter dans l’oubli, lui ont donné l’éternité et la force du mythe.
Par leur courage, mais également par leur action législatrice qui sera un déterminant républicain majeur malgré sa brièveté, les Communards sont entrés en 72 jours dans la mémoire collective.
La Commune décréta la séparation de l’Église et de l’État, la suppression du budget des cultes, la laïcisation des services publics et notamment des hôpitaux. Elle instaura les bases de l’école laïque, instituant la gratuité, le droit pour les filles à l’instruction laïque et à la formation professionnelle créant les premières écoles primaires de filles.
La Commune, c’est aussi, l’égalité des salaires, le droit au divorce pour les femmes, l’égalité entre enfants légitimes et naturels, épouses et concubines et l’abolition de la prostitution.
On lui connaît de nombreux autres projets, pionniers de notre République, tels l’abolition de la peine de mort, la révocabilité des élus, la gratuité de la justice, le développement de modèles de coopératives de production, la réduction de la journée de travail, la suppression des amendes patronales.
La Commune exprime un idéal qui est celui du peuple français, une exigence d’égalité démocratique, de justice sociale et de solidarité. En faisant le choix de commémorer les 147 martyrs fusillés puis jetés dans une fosse commune, nous refusons d’oublier le combat pour la liberté et la justice.
Peu à peu, loi après loi, entre avancées et reculs, le projet républicain démocratique, laïque et social s’est mis en place. Il reste encore imparfait, mais son modèle continue d’inspirer les peuples du monde, quoique veuillent faire croire ses concurrents et adversaires.
Pour autant, depuis quelques années, la vague républicaine s’affaiblit, laissant la place à un reflux risquant d’emporter avec lui nos valeurs les plus essentielles. La République recule, laissant s’accroître les inégalités et les fractures sociales. La Commune le portait déjà, il n’y a de projet républicain qu’avec un projet de justice sociale
La Commune a été un moment fondateur et populaire, animé de l’enthousiasme que peut susciter la République quand elle accomplit l’authentique égalité démocratique et trouve son aboutissement dans la justice sociale, dans l’égalité, sans laquelle la fraternité et la liberté ne sont réservées qu’à quelques-uns.
Se souvenir de la Commune, c’est faire vivre cet idéal de justice et de progrès. Se souvenir de la Commune, c’est se rappeler ses héros, mais aussi ses héroïnes, oubliées pour la plupart. Il y a Louise Michel bien sûr, mais aussi Nathalie Lemel et Elisabeth Demetrieff, fondatrices de l’Union des femmes, Victorine Rouchy, Léontine Suéten, et les innombrables autres, condamnées, déportées ou mortes sous les balles des Versaillais. Elles ont combattu pour leur émancipation, leur liberté, pour l’avènement de la République. Se souvenir de la Commune, est plus que jamais une absolue nécessité dans le moment que nous vivons.
Le spectre d’une arrivée au pouvoir de l’extrême-droite, avec son cortège de reculs démocratiques et républicains est dans tous les esprits. Sur la place publique, les discours de haine et d’exclusion dont beaucoup pensaient la Nation prémunie, se multiplient.
En miroir de l’extrême droite et la renforçant, le surgissement au premier plan de revendications identitaires méconnaît le risque d’une fragmentation de la société en groupes rivaux, générant des replis communautaires porteurs de division et de violences civiles.
Face à ces risques tous azimuts de dévoiement et de déchéance de la République, et alors que le chef de l’État n’a pas souhaité commémorer les 150 ans de la Commune, lui préférant d’autres symboles, nous, Francs-Maçons ne pouvons rester absents ou silencieux.
Si l’Histoire est mémoire et souvenir, elle est aussi espoir. Les républicains sincères ne peuvent oublier les héros de la Commune, non pas seulement le jour d’un hommage, mais à chaque instant de leur engagement. L’année des 150 ans de la Commune n’est pas terminée. Le pouvoir républicain peut encore choisir d’honorer cette Histoire.
Georges Serignac
Grand Maître du Grand Orient de France