Monsieur le Maire,
Grands Maîtres, Grande Maîtresse et Dignitaires des Obédiences amies,
Mes Très Chers Frères, Passés Grands Maîtres du Grand Orient de France,
Mes Très Chères Sœurs, Mes Très Chers Frères,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Nous nous retrouvons ce matin, cette année encore plus nombreux, au Mur des Fédérés, dans ce lieu où furent assassinés puis ensevelis les fusillés martyrs de la Commune, héros d’une insurrection populaire, parmi lesquels de nombreux franc-maçons.
La Commune dont l’empreinte sanglante est ineffaçable dans le récit national, les milliers de morts, déportés ou emprisonnés désignant à jamais la traîtrise et la barbarie d’un pouvoir apeuré, aux abois et dont la répression meurtrière est désormais gravée dans notre mémoire collective.
La Commune, qui, malgré sa brièveté, fut une étape essentielle dans l’édification de la République par les réformes majeures qu’elle décréta, séparation de l’Église et de l’État, suppression du budget des cultes, laïcisation des services publics, etc.
La Commune qui avait en elle une très forte dimension féministe avec l’égalité des salaires et le droit au divorce pour les femmes, le droit pour les filles à l’instruction laïque et à la formation professionnelle, l’égalité entre enfants légitimes et naturels, épouses et concubines, abolition de la prostitution.
La Commune dont de nombreux projets révèlent l’aspect précurseur sociétal et démocratique tels, l’abolition de la peine de mort, la révocabilité des élus, la gratuité de la justice, ou sur le plan social, le développement des coopératives de production, la réduction de la journée de travail, la suppression des amendes patronales, etc.
Pour toutes ces raisons, la Commune a été un moment clé de l’ouvrage républicain, traçant le sillon de la justice, de l’égalité et de la solidarité dans la Cité.
Il était donc bien naturel que les francs-maçons aient accompagné le chemin souvent tourmenté et sinueux, parfois escarpé et abrupt, mais lumineux qui conduit à l’accomplissement de l’idéal républicain.
Ce compagnonnage avec les forces républicaines s’est traduit de manière éclatante lors des évènements de la Commune.
De la rédaction du Manifeste du 8 avril au défilé en décors et sous les bannières des Loges le 29 avril 1871 jusqu’au sacrifice des combats sur les barricades, l’engagement maçonnique a trouvé en cette funeste période son expression la plus éclatante et la plus courageuse.
Cet épisode décisif exprime clairement la cohérence de la franc-maçonnerie française depuis ses origines et sa filiation avec la philosophie française des Lumières, le Grand Orient de France abandonnant quelques années plus tard l’obligation de croyance, instituant la liberté de conscience comme principe cardinal et réfutant l’interdiction imposée par la franc-maçonnerie anglo-saxonne d’aborder, en Loge, les sujets de politique et de religion.
En s’engageant sans équivoque en tant que franc-maçons, en décors et en bannières, après et à la suite de débats et travaux en Loge contradictoires et parfois très animés comme le montrent nos archives, nos Frères Communards illustrent en actes l’interprétation française de l’idée maçonnique qui, sans renier ni amoindrir le moins du monde la dimension initiatique de l’Ordre, dépasse le rituel, et s’engage dans la Cité.
À leurs suites, celle et ceux à qui nous avons rendu hommage ce matin, Emmanuel Arago, Arthur Groussier, Nelly Roussel, Victor Scoelcher, sont de glorieux exemples de maçons dont l’engagement citoyen au service de la République, ne peut être séparé de l’idéal maçonnique.
Comme beaucoup d’autres, leur action fait partie de l’Histoire de la République.
Aujourd’hui, cette République subit des assauts, répétés, inquiétants et venant de toutes parts.
Les échéances électorales les plus récentes ont pu faire craindre qu’elle ne vacille et ne tombe dans de mauvaises mains.
Et même si le pire n’est pas survenu, l’horizon reste sombre.
À des tensions sociales dont la crise des Gilets Jaunes puis celle des retraites furent les plus récents symptômes, aux fractures, économiques, territoriales, culturelles, numériques et même générationnelles, se sont ajoutées des inquiétudes légitimes face à de nouvelles incertitudes majeures.
Ainsi, la pandémie de Covid 19 a frappé le monde de stupeur, révélant brutalement nos faiblesses et la fragilité de nos libertés fondamentales.
Parenthèse sans lendemain ou premier effet délétère d’un monde ivre de consommation et sans boussole écologique, cette crise sanitaire inédite par son ampleur et ses effets sur nos sociétés oblige à un examen de conscience collectif et à l’indispensable recherche de ses enseignements.
Enfin, alors que l’épidémie semble refluer, un conflit meurtrier dont nul ne peut prévoir l’issue, même la plus tragique pour le monde entier, a été déclenché en Europe par la Russie, empire et puissance nucléaire.
Dans ce contexte national et international qui génère les passions les plus tristes et fait le lit de la démagogie et du populisme le plus simpliste et le plus incohérent, la franc-maçonnerie, par ses valeurs, ses principes, son histoire, doit être un lieu de résistance.
Sans céder à la résignation, encore moins au désespoir, avec enthousiasme, nous, francs-maçonnes et francs-maçons, devons être à la hauteur de l’engagement de nos prédécesseurs au service d’une idée pour laquelle, il y a 150 ans, ici, certains sont allés jusqu’au sacrifice de leur vie.
Pour nous, l’idée maçonnique, pétrie de solidarité et de justice, est indissociable de l’idée républicaine. Il appartient à chacune et chacun d’entre nous de la faire rayonner.
À notre place, soyons sans outrance mais sans faiblesse, les serviteurs dévoués, sincères et courageux de la République avec qui nous partageons notre devise commune emblématique, Liberté-Égalité-Fraternité.
La République que nous chérissons, la République belle et généreuse, juste et fraternelle, la République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui encore inachevée, est aujourd’hui en danger et que nous ne pouvons laisser détruire.
Le Mur des Fédérés est un lieu de recueillement qui rappelle le tragique de l’Histoire de l’Humanité.
Mais il est aussi pour nous, francs-maçonnes et francs maçons du Grand Orient de France et des obédiences amies, un lieu de mémoire, d’enseignement mais aussi d’indéfectible espoir.
Il nous enseigne comment, des hommes et des femmes armés seulement de leur vertu, de leur courage et de la force de leurs convictions, se sont dressés contre la tyrannie et le chaos et ont tracé la voie qui mène à la réalisation de leur idéal.
Que leur sacrifice nous engage, que leur exemple nous inspire, que leur étoile nous guide !
J’ai dit
Au Mur des Fédérés du Père-Lachaise,
Le 1er mai 2022,
Georges SERIGNAC
Grand Maître du Grand Orient de France