Monsieur le Maire du XXe arrondissement,
Mesdames et Messieurs les Élus de la République,
Mes Très Chers Frères et Sœurs Conseillers de l’Ordre du Grand Orient De France,
Mes Très Chers Frères Passés Grands Maîtres du Grand Orient De France Patrick Kessel, Jean-Michel Quillardet, Philippe Foussier, Jean-Philippe Hubsch,
Mon Très Cher Frère Sylvain Zeghni Grand Maître National de la Fédération Française du Droit Humain,
Ma Très Chère Sœur Catherine Lyautey Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France,
Mon Très Cher Frère Bernard Dekoker-Suarez Grand Maître de la Grande Loge Mixte Universelle,
Ma Très Chère Sœur Christiane Vienne Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France,
Mes Très Chers Frères et Sœurs Dignitaires des Obédiences amies,
Mes Très Frères, mes très Chères Sœurs,
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Tous, Citoyens égaux en Droits et Devoirs,
En ce jour, ce midi, à vous qui êtes réunis par centaines, je veux rappeler ô combien ce rassemblement organisé pour la première fois le 1er mai 1971, sous la présidence du passé Grand Maître Jacques Mitterrand, puis ravivé en 1998 par le passé Grand Maître Philippe Guglielmi, ce rassemblement est porteur de sens.
Car ce rassemblement au cimetière du Père Lachaise n’est pas qu’une simple déambulation matinale dans l’un des cimetières les plus emblématiques du monde. Il est l’hommage aux Martyrs de la Commune de Paris, ces quelques 30.000 morts tombés sous les balles des Versaillais. C’est leur mémoire que nous francs-maçons venons honorer, à ces Fédérés qui ont payé de leur vie la défense de leurs idéaux universalistes, émancipateurs.
En ce jour, ce midi, à vous, qui êtes réunis par centaines, qui êtes venus des quatre coins de la France, je ne veux parler de rien d’autre que d’un combat.
« Le » combat.
« Notre » combat.
Celui qui commença au début du XVIIIe siècle, et qui perdure aujourd’hui après qu’il a traversé les siècles ; les péripéties historiques les plus tumultueuses ; les rebellions les plus héroïques ; les heures les plus sombres ; les persécutions les plus accomplies ; les temps les plus fastes ; les avancées humaines et sociales les plus audacieuses.
Il a traversé des contradictions aussi. Et après tout…
Je veux parler du combat que les francs-maçons mènent depuis trois cents ans pour établir – ou rétablir – la liberté, le droit, la justice, l’égalité et qui trouve, ici même, son acmé, chaque premier mai, dans ce dédale des illusions persévérantes que nous parcourons en compagnons, émus, bigarrés, respectueux.
Ce rendez-vous que nous avons là, dans ces travées où reposent, parmi tous, nos Frères Jules Vallès, Eugène Pottier, Jean-Baptiste Clément ou Emmanuel Arago ;
Ce rendez-vous au pied du Mur des Fédérés, avec Louise Michel, Paule Minck, Lissagaray, Chabert, Joffrin, Brousse, Vaillant…
Ce rendez-vous que nous avons là… il mêle l’Histoire et la révolte,
Il mêle la grandeur et le sacrifice, les leurs à tous ceux qui gisent là, et à tous ceux qui gisent ailleurs,
Il même l’humilité et le recueillement… les nôtres, nous qui, devant eux, nous sentons si petits…
Les figures que nous honorons sont autant de traces puissantes pour nous tous, qui cherchons à sortir de nous-mêmes pour rendre à nos descendants, un monde meilleur.
C’est pourquoi quand je dis « recueillement », je parle des braises sur lesquelles on souffle et non des cendres inertes, car les francs-maçons ne sont pas des adeptes du culte des cendres, mais des militants de la préservation du feu de l’espérance.
Quand je dis « recueillement », je dis « silence qui précède l’action », je dis « énergie recouvrée, énergie démultipliée, énergie déployée, énergie agrégée pour comprendre et vivre le présent et préparer l’avenir ».
Quand je dis « recueillement », je dis « nos maîtres vénérés qui formaient hier la chaîne d’union », mais je dis aussi « demain, et la lutte qui continue pour un monde meilleur, et l’horizon d’une république enfin universelle ».
Quand je dis « recueillement », je dis, nous disons, qu’il faut puiser la force du devenir dans l’exemple de ceux qui nous ont éclairé le chemin. Et je dis que si le passé est révolu, tout peut et doit encore être écrit.
Car il est temps, mes Frères et mes Sœurs !
Il semble que nous ne soyons qu’à quelques encablures d’un grave et périlleux « moment charnière ».
Les officines qui calculent au jour le jour nos inclinations démocratiques nous annoncent, pour juin et les élections qui viennent, la bascule que nous redoutions tant.
Car le ciel s’obscurcit des nuages bruns de l’extrême-droite… Mais il s’obscurcit depuis si longtemps…
Qu’avons-nous fait des alertes ? Tant de fois on a prononcé, comme une incantation, ces mots de Bertolt Brecht qui parle d’un resurgissement de la bête immonde. Tant de fois, on a entendu que c’était la dernière. Tant de fois, on a entendu qu’on allait, qu’on devait se réveiller !
Et pourtant, et pourtant… voilà le monde libre plus que jamais menacé, de toute part et d’abord par le bruit de l’autorité qui gronde.
C’est dire que ce premier mai apporte avec lui des effluves, que dis-je, des remugles qui en brouillent la mythologie unitaire que nous aimons tant.
Ça n’est pas un premier mai comme les autres.
Quarante jours encore, et nous saurons si l’Europe a choisi le repli sur elle-même, les effets de menton et la geste milicienne.
Quarante jours encore et nous saurons si les européens n’ont décidément plus de mémoire.
Quarante jours et nous saurons si le désastre advient.
Quarante jours encore et nous saurons si l’Europe tout entière sombre dans le marasme grotesque où s’ébattent l’Argentine, la Corée du Nord, la Chine, la Russie déjà, les États-Unis bientôt.
Il nous reste quarante jours pour redire à tous ceux que nous aimons, ceux que nous croisons, ceux avec qui nous travaillons, ceux qui nous écoutent, que l’Europe que nous voulons, c’est une Europe joyeuse, fraternelle, hospitalière, composée de peuples qui se respectent et se mélangent sans crainte et même avec plaisir car c’est l’histoire même de l’Humanité.
Et surtout, surtout : quarante jours encore pour rappeler, sans réserve, que l’Europe moderne doit demeurer le havre de paix qu’elle était depuis 75 ans.
C’est quand elle est unie et soudée que l’Europe est puissante. C’est quand elle est à l’unisson qu’elle sait parler au monde et clamer ce bonheur pur qu’est la paix.
Pour l’Ukraine, mais aussi pour le Soudan, le Nigéria, la République Démocratique du Congo, la Birmanie, et surtout le Proche-Orient, l’exemple de la concorde qui règne entre les nations de la vieille Europe constituera toujours la meilleure façon de conduire le belligérant sur le sentier de la paix.
Quarante jours encore…
Ça n’est pas un premier mai comme les autres.
Quarante jours, c’est une demi-saison avant qu’il ne soit trop tard. C’est le temps incompressible pour « faire digue », ardemment, résolument, là où on le peut, en hommage à ceux qui reposent ici et ont résisté à l’irrédentisme fasciste.
« Faire digue » pour arrêter la nappe infecte qui s’étend.
Notre Europe, elle se nourrit à la source de ce qui a fait les grands peuples, aux vertus antiques, à l’esprit de tolérance, au socialisme utopique et à l’internationalisme fraternel.
Notre culture commune interdit le rétrécissement des frontières, le rétrécissement des idéaux, le rétrécissement des esprits.
Notre culture commune, c’est l’Europe de la libre circulation des idées et des personnes ; c’est l’Europe des Libertés et des lumières, dont nous avons collectivement rappelé les fondements à Strasbourg il y a dix jours, le 22 avril dernier, trois cents ans, jour pour jour, après la naissance d’Emmanuel Kant, dont le « sapere aude » – ose te servir de ton propre entendement – reste notre boussole !
Non décidément, ça n’est pas un premier mai comme les autres.
Allons plus loin.
Dans quarante jours, il nous faudra aussi « faire digue » face à la nappe de l’argent qui s’étend, en hommage à ceux qui reposent ici et ont payé de leur vie leurs aspirations à une société plus juste.
Contre le règne du « trop de profits », de l’argent-roi, de l’argent-gangrène, si mal réparti sur la surface du globe, et en France même où, ici, l’on vit misérablement, tandis que là, on se goberge déraisonnablement.
C’est « faire digue » contre un libéralisme mal compris, mal digéré, mal emmanché qui rétablit une société d’ordre.
Car si nous sommes adeptes du libéralisme politique des Lumières, le libéralisme économique et financier nous étouffe lentement, sans scrupules, comme un python étouffe sa proie.
Mon frère, Ma sœur, je ne crois pas te trahir en disant « nous » ?
L’Europe des francs-maçons, elle prône le partage et elle est sociale. Et nous la voulons pour le bien de l’humanité tout entière.
Allons plus loin encore, plus loin toujours : en hommage à ceux qui reposent ici et ont combattu l’infâme, il nous faut aussi « faire digue » face à la nappe qui s’étend de la dictature ecclésiastique, celle qui prêche la prière dévote, le retour des cilices, la pudeur des corps, l’effacement des femmes, la punition de ce qu’elle appelle « déviances sexuelles », l’emprisonnement de la mort, la sacralisation de la souffrance, bref la soumission à de petits architectes de l’univers…
Les francs-maçons s’en sont affranchis il y a 150 ans.
Et je le dis ici solennellement, m’adressant à tous ces élus qui violent à toute bonne occasion clientéliste, la loi de 1905, à ces politiciens extrémistes qui ont la laïcité à géométrie variable, nous sanctionnerons toute complaisance à l’égard de ces courtisans des ténèbres.
Je voudrais à cet instant évoquer la question de la fin de vie, en me félicitant des convergences exprimées par les Grands Maitres et Grande Maitresse des obédiences ici présents, encore la semaine dernière à l’Assemblée nationale.
Il nous faut pouvoir émanciper notre mort comme nous sommes en mesure d’émanciper notre vie. C’est là une question de libre arbitre, de respect de l’humain et de son autonomie.
Or, encore une fois depuis des mois, des forces réactionnaires, notamment religieuses, s‘y opposent, privilégiant toujours leur logique d’hétéronomie, considérant, au nom de leurs théologies multiples et variées, que le dogme ne peut souffrir cette liberté consentie à l’Homme, liberté dont il lui est laissé le soin d’user ou non.
La République s’honore chaque fois qu’elle libère l’Homme des chaines de la fatalité à laquelle certains voudraient de toute éternité l’assigner.
Permettre à chacun de choisir le chemin de son départ lorsque celui-ci est devenu inéluctable est un choix de progrès mais aussi de vie. Mes frères, mes sœurs, mes amis, cela s’appelle la liberté de choix, l’égalité face à la souffrance et la fraternité aussi que nous devons aux mourants !
Au pied de ce mur donc, en souvenir de ceux qui sont tombés sous nos pieds, fédérés fusillés, jetés ici-même dans la fosse commune, au pied de ce mur nous devons promettre solennellement de « faire digue ».
Contre la réaction. Contre l’obscurantisme. Contre l’asservissement.
Rassemblés ici, comme les communards le furent sous les balles et dans le trépas, rappelons-nous qu’ils ne se sont pas sacrifiés pour rien.
Communards ou non, rappelons-nous des parcours éloquents des francs-maçons qui ont tracé le chemin, qui ont indiqué les voies de l’émancipation humaine.
Oui, Roger Verlomme, Léon Richer, Marie Bequet de Vienne, Oscar Wilde, Jean Allemane, dont nous avons célébré aujourd’hui les engagements, nous nous efforçons de nous hisser à la hauteur de l’exemple que vos vies de combats nous ont légué.
Nous sommes – vous et nous – de la même chaine d’union qui réunit les francs-maçons depuis trois siècles.
En ce 1er mai, que cette fête d’un Travail que nous aimons à glorifier, que cette journée internationale des travailleurs, soit aussi une célébration de la République.
Une République indivisible, laïque et démocratique. Une République sociale.
Oui, nous voulons la Sociale !
Nous la voulons pour l’hexagone.
Nous la voulons pour les Outre-mer.
Nous la voulons pour tous les pays du Globe et pour tous les peuples à la surface de la Terre.
Pour eux tous, groupons-nous.
Et demain… Qui sait…
Et pour leur donner plus de poids, en forme de serment, j’aimerais que vous prononciez avec moi, après l’acclamation, mes très chers frères, mes très chères sœurs, vous qui êtes des centaines, rassemblés ici, venus des quatre coins de France, ces trois mots qui terminent nos propos en loge.
Vive la République ! Vive la Sociale !
J’ai dit.
Guillaume TRICHARD
Grand Maître du Grand Orient de France