Paris, le 24 avril 2025
Très Respectables Grands Maîtres et Grandes Maîtresses,
Mes Très Chers Frères et Très Chères Sœurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Le 24 avril 1915 marque le début d’une entreprise d’extermination méthodique : déportations massives, massacres et violences.
Face à cette barbarie, le monde a trop souvent détourné le regard.
Pourtant, des hommes ont pu être les témoins directs de cette planification assumée du gouvernement des « jeunes turcs ».
L’ambassadeur des Etats-Unis, par exemple, Monsieur Henry Morgenthau senior, père du célèbre Secrétaire d’Etat du Trésor sous Roosevelt, fut un témoin direct de cette conception planifiée et volontaire, et il sera une source essentielle au travail des historiens.
Oui, les crimes furent pensés et assumés.
Le 24 avril 1915 à Constantinople, sans aucun motif officiel d’inculpation, les membres de l’élite intellectuelle arménienne sont arrêtés and déportés, des membres du parlement turc, des écrivains, des avocats, des enseignants, des journalistes, des physiciens, des figures publiques, des membres du clergé, et des artistes, ils seront des centaines de personnes pour commencer…
Ils seront tous assassinés sur la route de l’exil ou en arrivant à destination.
La conduite, ainsi que l’importance des frappes, sont habilement déterminées par le gouvernement ottoman.
Leur intention est de décapiter les arméniens d’Anatolie, de les priver de soutien militaire et d’organisation politique et intellectuelle, de démoraliser la population arménienne en excluant toute possibilité pour eux de se préparer à la résistance.
L’élimination des soldats arméniens et de l’intelligentsia s’avère en effet fatale pour les arméniens, qui se trouvent incapables de s’organiser et de résister.
Cela explique l’ampleur dévastatrice du génocide et la relative facilité avec laquelle il fut perpétré.
Après avoir accompli cette première phase, les bourreaux se lancent dans l’arrestation, l’expulsion et le meurtre des arméniens sur leur terre ancestrale d’Arménie, en Cilicie, et à travers les régions et les villes d’Anatolie Occidentale. Les massacres et les déportations d’arméniens se propagent à l’Empire ottoman tout entier, d’est en ouest, et du nord au sud.
1 million de morts, voire 1,5 millions d’après certains historiens furent les victimes de ce plan appliqué, celui d’un empire qui s’effondre, qui se meure, et qui avant de périr s’est donné mission de « turquifier » toutes ses terres, d’anéantir, de purifier ; toujours les mêmes termes, toujours les mots, ceux de la folie humaine qui s’attaque au cœur de ce que nous sommes : l’autre.
Ce temps qui est le nôtre aujourd’hui est bien tout d’abord celui du recueillement, du silence, et de la Lumière à laquelle nous sommes voués.
Le Grand Orient de France, et ses principes de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, ne peuvent rester silencieux devant ce crime, tout comme devant ce monde actuel qui chavire encore.
Aujourd’hui, nous rendons hommage aux martyrs arméniens, mais aussi à la résilience d’un peuple, qui, malgré les tentatives d’effacement, a su préserver son identité, son histoire. Aux victimes, comme à leurs descendants, nous affirmons porter avec eux le flambeau de la mémoire. Le Grand Orient de France réaffirme ici son attachement à la reconnaissance universelle de ce crime. Car se souvenir, ce n’est pas seulement regarder le passé : c’est œuvrer pour un avenir où plus jamais de tels actes ne seront possible. En ces heures où les divisions et les haines ressurgissent, rappelons-nous que la dignité humaine est indivisible. Que notre combat pour la justice et la vérité restent.
« Plus jamais ça » ne doit pas être un vœu pieux mais un engagement quotidien. Alors pour continuer à rallumer les soleils, laissez-nous conclure par ces mots de Siamanto (1878-1915),
poète arménien :
Mon âme écoute le trépas du crépuscule
Agenouillée sur la terre lointaine de la souffrance
Mon âme boit les plaies de la terre et du crépuscule
Et ressent encore en elle la pluie de ses larmes…
Et les étoiles des vies entièrement massacrées
Si semblables à des yeux disparus
Ce soir dans les vasques de mon cœur
Attendent dans leur désespoir la réanimation.
Et les fantômes de tous les morts, cette nuit,
Vont attendre l’aube de mes yeux et de mon âme,
Afin que pour assouvir la soif de leur vie
Tombe peut-être d’en haut sur eux une goutte de lumière.
SIAMANTO (1878-1915)
Nicolas PENIN
Grand Maître du Grand Orient de France