Prononcé à l’occasion de la célébration le 228e anniversaire
de la proclamation de la Première République
lors du rassemblement républicain et laïque
du dimanche 20 septembre 2020 (Place de la République à Paris)
La franc-maçonnerie est une société de pensée à caractère initiatique qui existe depuis le début du XVIIIe siècle, depuis plus de trois siècles !…
Si les francs-maçons, fils et filles des Lumières, ont tenu à prendre toute leur place dans la mobilisation de ce jour pour la République et la laïcité, c’est parce que, on peut le dire sans craindre d’être démenti, depuis la deuxième guerre mondiale, jamais sans doute, les valeurs républicaines et nos libertés, n’ont été, comme aujourd’hui, attaquées avec méthode, férocité, dans le cynisme et dans l’impunité.
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Les francs-maçons sont présents aujourd’hui parce que, depuis leurs origines, ils défendent cinq grandes idées des Lumières :
– l’universalisme ;
– l’humanisme ;
– la raison ;
– le progrès ;
– la liberté absolue de conscience et donc, la laïcité.
Les francs-maçons ont longuement appris à mettre en œuvre une « fraternité élective », un « entre soi », en quête de pluralisme social, politique et religieux dans des loges qui savent vivre et perdurer parce qu’elles sont soudées par des rituels rigoureux et efficaces.
Quand il s’engage dans cet espace-temps rituel qui abolit les références usuelles, le franc-maçon est déconnecté et comme rendu à lui-même.
Porté par les symboles, leur logique analogique, l’enracinement traditionnel et mythique des valeurs, il peut éprouver un sentiment de participation symbolique à l’universel et développer une capacité à faire vivre et partager une réflexion citoyenne affranchie des querelles idéologiques et partisanes et des enjeux de pouvoir.
Le « temple » des francs-maçons est à la fois retrait du monde, dit « profane », et engagement dans la Cité. Et c’est ce qui a permis à la maçonnerie d’être étroitement associée à l’histoire de la modernité politique dans notre pays.
En effet, dans la société politique autoritaire et fermée du XIXe siècle français, les loges maçonniques, quoiqu’étroitement surveillées, auront durablement été les seules associations actives tolérées.
Elles ont pu continuer à cultiver et à transmettre leur corpus philosophique, celui des Lumières, et c’est ainsi qu’elles sont devenues, tout naturellement, les foyers souterrains de l’essentiel de l’activité intellectuelle et politique de progrès dans notre pays.
On compte beaucoup de francs-maçons parmi les révolutionnaires en 1830 et ils se retrouvent en grand nombre au sein du gouvernement provisoire de février 1848.
Rien d’étonnant donc à ce qu’en septembre 1870, dès la capitulation de Sedan, la République surgisse tout armée des loges. Léon Gambetta, et tous les Jules, Simon, Grévy, Favre et surtout Ferry, pour ne citer que ces personnalités éminentes de la première génération républicaine, tous sont francs-maçons.
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Avec ses outils traditionnels de pacification progressive des échanges, la maçonnerie s’impose comme une espèce de laboratoire de société, un laboratoire du lien social avec une ambition d’universalité qui est, tout naturellement, porteur de l’idée républicaine.
Cette idée républicaine n’est pas une voie du juste milieu. Elle est un projet fondé sur le primat du politique, de la citoyenneté et de la solidarité.
Le projet républicain, c’est d’abord une certaine idée de la liberté. Comme la liberté des libéraux, la liberté républicaine place les libertés individuelles au fondement même de l’organisation politique de la Cité.
Mais si pour les libéraux, la liberté c’est surtout la garantie que rien ne vienne limiter l’exercice des droits des individus, pour les républicains elle consiste en outre à empêcher toute domination au sein d’une communauté civique qui a l’ambition d’unir des citoyens jouissant de la même liberté au sein d’un espace politique commun.
Cet idéal républicain de non-domination politique repose sur l’égalité, sur une réelle égalité des chances entre les individus.
De ce point de vue, la menace la plus grave pour le projet républicain, c’est le recul ou l’abandon des institutions publiques dans le cadre desquelles les citoyens peuvent se rencontrer en égaux, se sentir traités en égaux.
Ce qu’on désigne globalement du nom générique de « services publics » constitue le cœur même du projet républicain.
La République enfin, est un projet universaliste d’élaboration du lien civique par-delà les assignations identitaires de chacun, dans la recherche et la préservation de ce qui est commun à tous.
La laïcité, c’est l’ensemble de principes juridiques qui garantit le primat de la liberté de conscience du citoyen au sein de cette communauté politique, dans laquelle nul ne sera plus tenu de se définir en fonction de ses appartenances ethniques, culturelles, religieuses, sociales ou autres.
La laïcité, c’est aussi un principe d’organisation sociale. La puissance publique et la sphère qui lui est associée en vue de constituer, établir et garantir les droits et libertés dont bénéficiera l’universalité des citoyens sont tenus à une réserve absolue en matière d’options spirituelles.
La sphère privée, celle des individus et des communautés, est entièrement libre dans le respect de la loi commune.
L’État républicain, dans une éthique de séparation rigoureuse, garantit en même temps l’indépendance de ces deux sphères et l’unité de la communauté politique des citoyens autour des valeurs communes partagées.
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Les francs-maçons ont eÌteÌ des acteurs directs de l’avènement de la République, ils en ont accompagné tous les progrès et, en ce qui concerne la laïcité de l’État, ils ont pratiquement toujours eÌteÌ aÌ€ l’origine de l’action politique.
Si nous nous retrouvons aujourd’hui, tous ensemble, place de la République, c’est parce que nous assistons à un recul du politique, absolument sans précédent, et à la décomposition du corps social dans de multiples replis sociaux et identitaires qui menacent tout sentiment de solidarité, de responsabilité et l’existence même de la communauté des citoyens, de la Nation.
Mais on n’attaque pas seulement la République en France, on entend rompre avec les Lumières.
Cette crise n’est certes pas d’hier mais elle est particulièrement d’actualité, aujourd’hui que s’est ouvert le procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.
Combien il nous faut être reconnaissants à l’engagement infatigable de Charlie Hebdo qui ne faisant que son travail pour nous alerter, s’est tout à coup retrouvé seul dans le mauvais temps, isolé, tout seul devant, comme le petit cheval blanc, tous derrière et lui devant…
Il était devenu la cible idéale du fanatisme et de la haine de ce qu’on a appelé depuis, le « fascisme islamique »…
Nous lui avons rendu hommage l’an dernier dans le hall de l’Hôtel Cadet en exposant des œuvres des cinq dessinateurs assassinés autour de la fameuse une du Charlie Hebdo n° 712, qui les a fait entrer tous ensemble dans l’histoire.
Nous avons aujourd’hui le devoir de nous rassembler avec force si nous ne voulons pas qu’ils soient morts pour rien.
Deux jours avant l’ouverture du procès, Le Monde appelait à ne pas « surévaluer les motivations religieuses des terroristes » pour les ramener pratiquement à des « phénomènes de bandes ».
Cet article du Monde s’inscrit dans une doxa qui se développe et qui tend à nier le fait qu’un discours religieux puisse produire une doctrine mortifère et criminelle.
Et, dans une vision relativiste des choses on assiste à des audiences qui construisent patiemment la banalité des protagonistes, d’authentiques voyous sans doute mais certainement pas des islamistes.
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Devant tous ces défis, devant ce qu’Alain Supiot appelle le grand « retour des liens d’allégeance », il nous appartient de défendre ensemble l’« idée républicaine », cette vieille idée qui, parce qu’elle associe toujours étroitement le politique et le social, reste absolument moderne.
La République sait intégrer, elle sait être inclusive, elle est capable de féconder une pensée universaliste de la diversité capable de lutter contre les discriminations, à partir du principe de l’égalité des citoyens et de leurs droits, et non à travers une reconnaissance identitaire qui se refermera comme un piège implacable sur le citoyen et sur ses droits.
La défense de l’universalisme et de la raison est l’urgence de l’heure. Quand on voit les mots de la République utilisés tous les jours contre les idéaux républicains pour en nier la dimension émancipatrice, il est clair qu’on se trouve devant une bataille culturelle.
Ne reculons pas, la République est une idée moderne, n’ayons pas honte d’être républicains.