Grands Maîtres et dignitaires des Obédiences amies,
Mes Très Chères Sœurs, Mes Très Chers Frères,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Comme le dit notre F. Denis Chartagnac, cheville ouvrière du projet «Marianne» et présent parmi nous ce soir, « rue Cadet, la Marianne noire siège maintenant dans sa maison mère ».
Rayonnante, hiératique et impénétrable, notre Marianne noire maçonnique est impressionnante par la force et la dignité qui en émanent.
Dans une mise en perspective passionnante et même vertigineuse pour nous Francs-Maçons d’obédiences libérales, la première statue de la liberté, précédant de 40 ans la célébrissime « liberté éclairant le monde » du F. Auguste Bartholdi, représente une femme africaine, libérée de ses chaînes, coiffée du bonnet phrygien, et portant sur son buste de nombreux symboles maçonniques.
Au-delà des signes et attributs dont ses commanditaires ont voulu la doter, associant délibérément la République, l’abolition de l’esclavage et la Franc-Maçonnerie, sa création comme sa réalisation témoignent de la proximité de l’idée maçonnique et du projet républicain.
À cela vient s’ajouter une histoire romanesque donnant à cette Marianne noire une dimension singulière, troublante, et exemplaire.
Une Histoire romanesque par sa genèse d’abord.
Tout a commencé quelques jours après la proclamation de la seconde République, peu après la mise en place de la commission pour l’abolition de l’esclavage présidée par notre F. Victor Schoelcher et composée exclusivement de Francs-Maçons.
Cinq Frères toulousains conçoivent le projet de réalisation d’une sculpture à la gloire de la République qui sera installée dans leurs locaux. Ils ont pour dessein de relier sans équivoque l’engagement maçonnique, la République et l’abolition de l’esclavage. Depuis sa première proclamation, la République est indissociable de la liberté et de l’égalité des droits. Cette statue en est l’illustration.
Ces Frères demandèrent au Frère Bernard GRIFFOUL-DORVAL sculpteur renommé de l’époque, une statue résolument maçonnique représentant la République sous les traits d’une femme noire.
Il imprimera à son œuvre, sagesse, force et beauté.
Cette sculpture majestueuse, qu’ils nommeront donc « statue de la liberté », sera dévoilée en grande pompe le 17 avril 1848, 10 jours avant la parution du décret d’abolition de l’esclavage lors d’un banquet réunissant à Toulouse, 350 Francs-Maçons.
Une Histoire romanesque ensuite par son originalité, née de la volonté de représenter la République par une esclave affranchie, portant de nombreux symboles maçonniques. Unique en son genre, il n’y aura pas d’autre représentation de la République en Marianne noire jusqu’à la fin du XXe siècle.
C’est une autre Marianne maçonnique, la Marianne Jacques France réalisée en 1881, qui deviendra dans une version dépouillée de ses symboles maçonniques, un des emblèmes les plus notoires de la République.
Une Histoire romanesque mais également tragique, qui après avoir vu trôner la sculpture dans les locaux maçonniques toulousains jusqu’en 1941, nous raconte comment la Milice pétainiste anti-républicaine et anti-maçonnique l’a sévèrement dégradée lors du pillage de ces lieux.
Un des signes du totalitarisme est le saccage des œuvres d’art, la destruction de la mémoire, le sac de la culture. L’acharnement sur la statue révèle à quel point la soif d’anéantissement des objets d’arts est souvent annonciatrice de temps où l’ignorance, la haine et la violence interdisent la pensée, et emportent tout sur leur passage.
L’intervention de Frères ayant pu la soustraire à une destruction définitive par la Milice et l’enfouir dans un jardin proche, permit de la sauver. Son infortune d’alors la voit disparaître et tomber dans l’oubli. Fort heureusement, cet oubli fut éphémère. Retrouvée et déterrée, elle est confiée en 1977 au Musée de la Résistance et de la Déportation. Elle est restaurée en février 2020.
Le parcours mouvementé de cette sculpture maçonnique exceptionnelle nous est décrit dans l’ouvrage « La Marianne du Musée », fruit des travaux de l’Institut toulousain d’études maçonniques, présidé par notre F. Denis Chartagnac, qui a fait réaliser sept reproductions de la statue à l’identique, écrivant un nouvel épisode de la destinée de la Marianne noire maçonnique dont nul ne peut cependant dire s’il sera le dernier.
La Marianne noire, mémoire du combat anti-esclavagiste, emblème du projet républicain, marque de l’engagement maçonnique, siège désormais au Musée de la Franc-Maçonnerie, rue Cadet. Il était essentiel pour nous que son exposition et le partage de son histoire soient accessibles à tous, tous les jours et gratuitement.
À un moment où les valeurs de la République sont remises en question, où ses principes tanguent parfois, et où le désintérêt pour la chose publique comme l’outrance du débat public en sont les causes comme les conséquences, il est important pour le Grand Orient de France de faire connaître le plus largement possible cet édifiant et spectaculaire symbole républicain.
C’est ainsi que nous prolongerons le message de nos Anciens, quand ils décidèrent en 1848, pour représenter la République, de faire sculpter la statue d’une esclave aux traits africains, affranchie et libérée de ses chaînes, et parée de nombreux symboles mêlant indissolublement la République et la Franc-Maçonnerie.
Comment ne pas souligner en cette occasion, l’exemplarité de l’engagement républicain des Francs-Maçons de l’époque pour l’abolition de cette plaie encore vive que constitue l’esclavage, crime contre l’humanité, hors de toute prescription ou rédemption.
Comment ne pas trouver remarquable la participation à ce projet de tous les Francs-Maçons toulousains, signifiée de manière collective par leur présence massive lors du banquet de réception et de manière individuelle à l’exemple du geste de l’artiste qui ne demandera que le montant du coût des matériaux pour prix de sa sculpture.
Comment, à l’inverse, ne pas leur opposer la fureur de la Milice pétainiste et son saccage de 1941, effet de sa haine envers la République, les Francs-Maçons et la Liberté.
Comment ne pas saluer les Frères résistants qui en 1941, eurent la présence d’esprit, la volonté et le courage, de récupérer la statue et de la sauver.
Grâce à eux, elle peut aujourd’hui transmettre un récit qui se lit dans ses stigmates autant que dans ses symboles et attributs.
Comment enfin, ne pas prendre la pleine mesure de la liberté dont nous disposons de pouvoir nous réunir autour d’elle, au siège du Grand Orient de France, en présence des dignitaires des principales Obédiences maçonniques libérales.
« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ».
À nous de lire, de scruter et de comprendre la Marianne noire. D’en faire partager le message républicain.
C’est sous son regard épuré et étrange, comme épuisé de ses souffrances mais fier de son humanité que nous devons nous rassembler pour que demain, des évènements funestes ne fassent pas bégayer l’histoire.
Au-delà de sa stature tragique, sa figure majestueuse, distante et si proche à la fois, perce notre conscience pour lui donner force et vigueur.
Merci aux Francs-Maçons qui en 1848 prirent la décision de faire sculpter cette Marianne maçonnique noire, figure de réconciliation à la gloire de la liberté et de la République.
Merci à nos Frères qui, un siècle plus tard, eurent le courage de la sauver des griffes de la barbarie.
Merci enfin à celles et ceux qui, par leurs travaux, nous permettent aujourd’hui d’en connaître l’histoire et d’en accueillir une reproduction parfaitement conforme au modèle authentique.
Tous ont, à un moment ou à un autre, été, certes dans des conditions très différentes, à la hauteur de leur engagement maçonnique et républicain.
À nous, Francs-Maçons du XXIe siècle de ne pas faillir et dans les mois, les années qui viennent, de rester fidèles à l’action comme à l’esprit de nos Anciens, celui dont la Marianne noire est une formidable messagère.
J’ai dit.
Georges SERIGNAC
Grand Maître du Grand Orient de France