Propos d’introduction de Jean JAVANNI, Grand Maître Adjoint, République, laïcité, enseignement
Pourquoi avoir choisi ce sujet, aujourd’hui, et dans un lieu qui se revendique de tant de principes placés au cœur de la République laïque ? La question n’a-t-elle pas été réglée par la loi, dès 2004 ? Il est vrai que cette loi n’a visé que les élèves des écoles publiques.
Mais, cette loi n’inscrit-elle pas, du coup, dans le droit positif le voilement des femmes comme la manifestation d’une « appartenance religieuse » ?
Ce sont les termes de l’intitulé d’une loi, qui, je cite, « encadre, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse ».
Dès lors, le voilement des femmes ne devient-il pas, du fait de l’article 1er de cette loi, une manifestation religieuse, certes « ostensible » et interdite en classe, mais autorisée en vertu du principe de laïcité ; lequel principe permet effectivement la manifestation publique de ses convictions religieuses, sauf s’il y a, bien sûr, atteinte à l’ordre public ». Mais, au titre même de symbole religieux, ne peut-on quand même s’interroger et interroger ce symbole ?
Ainsi, le philosophe Henri Peña-Ruiz, penseur bien connu du principe de laïcité, incite à considérer ce qu’il appelle les « boussoles de la laïcité », parmi lesquelles sa portée émancipatrice et universaliste. En ce sens, selon cette vision, la laïcité n’exclut pas, au nom du respect des principes religieux, le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, ni ne justifie, au nom de ce même respect, des particularismes culturels.
Et Henri Peña-Ruiz de citer l’excision, qui ne peut pas être justifiée par la tradition face au droit à l’intégrité de son corps. Ainsi, peut-on, me semble-t-il, légitimement se demander si la tradition culturelle du voilement des femmes et si la prescription religieuse de ce même voilement peuvent être justifiées face au principe d’égalité entre 6 les femmes et les hommes. En ce sens que ce « bout de tissu » fait quand même référence à un dogme religieux qui donne un statut juridique inférieur aux femmes. Cette question peut-elle encore être posée ?
Ces prémices étant présentées, rappelons le contexte historique. Depuis plus de quarante ans, avec la révolution islamique en Iran, en 1979, le voilement des femmes est devenu le signe distinctif et quasi-incontournable d’une religion, l’islam, qui se rend visible par le recouvrement du corps des femmes. Ce recouvrement du corps féminin, à divers degrés, se réclame de l’observance authentique de la religion musulmane.
En France, on sait que la première revendication de port du voile remonte à 1989, lorsque des collégiennes de Creil refusèrent d’enlever en classe ce qu’elles considéraient comme l’accessoire indispensable de leur foi religieuse. D’où vient cette exigence ? Que signifie-t-elle ? Ce voilement ne serait-il que la traduction d’une volonté politique des différents courants de l’islam politique, l’islamisme ?
Au travers du contrôle du corps des femmes et de la visibilité qu’il procure, ces courants viseraient-ils à traduire dans l’espace leur contrôle politique et social de la vie de certains territoires ? Mais, dans un État laïque et démocratique, respectueux de la liberté de conscience et de son corollaire indispensable, la liberté d’expression, la liberté religieuse et de culte doit être protégée. Son expression publique ne peut être entravée tant que l’ordre public n’est pas mis en danger. Mais, après tout, est-ce vraiment une prescription religieuse si incontournable ?
De nombreux théologiens musulmans, et parmi les plus reconnus comme ceux de la Mosquée du Caire, attestent qu’aucune prescription du Coran n’oblige les femmes à se voiler. Pour d’autres, il s’agit de la survivance de pratiques coutumières antérieures à l’islam, mais qui sont réveillées par une volonté identitaire.